MEDIATION Tradition chez l’un, moindre mal chez l’autre

Dans nombre de pays, le recours à la médiation est de plus en plus promu comme la méthode à privilégier dans le règlement des conflits. Il en est ainsi en France comme au Japon mais s’agissant de ces deux pays, il est frappant de constater tout à la fois la convergence dans leur souhait de la développer et la divergence quant à l’histoire de la médiation dans leur propre système judiciaire.

Dans les énoncés qui vont suivre, le concept de médiation est pris dans son acceptation la plus large. Il intègre toute méthode de règlement des conflits faisant appel à un tiers en vue de rechercher l’accord des parties sur une solution amiable ayant ou non la force exécutoire d’un jugement. Elle englobe donc la conciliation qui peut certes être en théorie distinguée de la médiation au sens où cette dernière implique la proposition d’un projet de solution par le médiateur, au contraire de la conciliation où le conciliateur tend seulement à mettre d’accord les parties. Nous verrons toutefois qu’en ce qui concerne le Japon, le conciliateur n’hésite pas à suggérer une solution de manière plus ou moins directive, si bien que la différence entre conciliation et médiation s’estompe singulièrement.

Pour la France, la médiation apparait aujourd’hui comme le remède miracle dans une société qui se voudrait assez évoluée pour en accepter la volonté d’apaisement qui la sous-tend. C’est ainsi que dans bien des instances, on cherche à la substituer à la procédure judiciaire, qui est le mode traditionnel de règlement des conflits, mais avec toujours quelques réticences face à une méthode qui s’éloignerait trop de l’application de la règle de droit. Traditionnellement, le juge français est au coeur de la procédure.

C’est pourquoi, malgré de nombreuses tentatives pour les mettre en place, les modes alternatifs de règlement des conflits telles que la conciliation et la médiation, soustraites au contrôle du juge, ont longtemps été perçues comme contenant un risque d’arbitraire. Comme le rappelle, un spécialiste reconnu du droit français à l’Université de Tokyo, le Professeur Kitamura : «Si beaucoup de praticiens ou de processualistes du Vieux continent ne cachent pas leur réticence à l’égard des modes alternatifs de règlement des conflits, tout en admettant l’utilité de ces modes comme une atténuation à l’excès soit quantitatif soit qualitatif de la justice traditionnelle, cette attitude devrait être interprétée au fond comme un reflet de la forte conviction de la valeur dominante et incontestable attribuée à la justice processuelle. Il ne serait pas exagéré de dire que cette voie royale de résolution des conflits constitue sociologiquement un héritage national : la France reste véritablement « mère des arts, des armes et des lois. » .

A l’inverse, au Japon, le développement de la médiation s’inscrit dans la continuité d’une longue tradition de règlement amiable des conflits. Selon le même Professeur Kitamura « après avoir imité depuis 1868 tout un système juridique et judiciaire à l’européenne, le législateur japonais a senti le besoin de créer une série de modes « alternatifs » de règlement des conflits ».

Ces derniers, explique-t-il, « sont plus appropriés à la mentalité japonaise dans la mesure où les solutions par jugement, technique tranchante empruntée des occidentaux, sont perçues comme ayant des conséquences trop dures ou trop lourdes…

Par rapport aux demandes initiales des parties, la solution (de la médiation) ne les satisfait sans doute que partiellement mais en leur faisant partager la douleur de l’autre, elle apaise leur rancœur. » C’est ainsi qu’à la différence de la France, le recours à la médiation au Japon est très souvent le préalable obligatoire à l’engagement d’une procédure judiciaire. Ou quand il ne l’est pas, la médiation reste une option ouverte et à vrai dire systématique, tout au long des procédures contentieuses, y compris devant la Cour Suprême.

1 Mise en place du juge de paix par les révolutionnaires, promotion de la médiation et conciliation par les rédacteurs du nouveau Code de procédure civile (article 12 dern. Al, article 21, 127 à 131, 768 etc.)
2 Ichiro Kitamura, L’avenir du droit : Mélanges François Terré, Paris, Dalloz / PUF / Editions du JurisClasseur, 1999, pp. 801-818

Depuis les premières codifications de la procédure civile japonaise, des procédures de médiation proprement dite ont été instituées, hors du cadre judiciaire, et dans le même temps fut consacré le droit pour le juge d’inciter les parties à se concilier tant à l’ouverture du procès qu’à tout moment de la procédure. C’est à partir de ces règles de droit commun qu’ont ensuite été mises en place des procédures de médiation spécialisées pour répondre à l’accroissement du nombre des litiges et de leur complexité.

Il n’est donc pas sans intérêt de s’interroger sur l’origine et le pourquoi de cette préférence au Japon.

Son origine est sans nul doute une conception moins confrontationnelle des relations sociales et humaines. Cette conception prend à l’évidence sa source dans les doctrines confucianiste et bouddhiste qui, l’une au plan social et l’autre au plan individuel, visent à réduire les conflits interpersonnels. Plus fondamentalement aussi, et en vertu de cette même tradition, les concepts de vérité et de justice sont au Japon perçus de manière moins absolue. Comme cela est évoqué dans le chapitre sur les relations contractuelles, l’idée qu’il puisse n’y avoir qu’une « Vérité » (révélée ou non) n’est pas privilégiée comme elle l’est en occident. C’est au contraire une conception plus relative, ou plus pragmatique diraient certains, qui prévaut. Obliger un juge à dire in fine qui a tort ou raison est quelque part antinomique avec une conception plus « neutre » de la vérité, et de ce point de vue le droit codifié importé de l’Europe s’est révélé être mal adapté à une conception moins tranchée de la bonne justice.

Dans le même sens, le fait de ne pas réussir à résoudre un litige à l’amiable va être perçu comme un échec pour lequel chacune des parties a sa part de responsabilité. Ceci, ajouté à la conception plus relative de la vérité soulignée plus haut, conduit à faire prévaloir dans la médiation l’idée de « torts partagés », la question n’étant plus de savoir qui a raison ou tort mais quel pourcentage attribuer à la vérité de l’un par rapport à la vérité de l’autre. Le rôle du médiateur est donc d’emblée bien compris comme celui qui va susciter sans forcément l’imposer un équilibre acceptable pour les parties en cause.

La règle de droit reste, certes, sous-jacente aux interventions du juge auprès des parties pour favoriser la solution la plus juste possible mais sans que la question de droit ne soit en définitive ouvertement évoquée, quand elle n’est pas tout simplement écartée au profit de l’intérêt bien compris des parties. Ce qu’exprime fort bien le professeur Kitamura lorsqu’il écrit « … les parties vivent bien un conflit brut dans leur vie courante avant d’entrer en un conflit juridique dans le Palais de justice : ce dont ils ont besoin est certainement une solution, mais pas forcément ou pas évidemment un jugement. »

Le recours à la médiation est aussi favorisé plus prosaïquement pour des motifs économiques. Moins coûteux, et plus rapide, il permet de désengorger les tribunaux qui, comme ailleurs, sont de plus en plus sollicités. D’aucuns disent que ce n’est pas le goût traditionnel pour le compromis qui l’emporte mais bien plus l’impossibilité pratique dans laquelle se trouvent les juges japonais de rédiger des jugements pour tous les cas qui leur sont soumis.

Le caractère confidentiel de la médiation en fait aussi une procédure attrayante pour éviter publiquement l’« affront » d’un contentieux. Elle est de ce fait plus particulièrement utilisée dans les affaires familiales délicates, notamment de divorce, de succession ou de reconnaissance de paternité.

Pour l’ensemble de ces raisons, liées tant à la culture japonaise qu’au pragmatisme économique, la médiation est couramment utilisée dans un cadre aussi bien extrajudiciaire que judicaire. C’est ainsi que s’est développé la mise en place d’un régime d’agrément donné par le ministre de la Justice à des conciliateurs privés. Dans le domaine très sensible des conflits familiaux à connotation internationale touchant aux gardes d’enfants et aux enlèvements d’enfants par un parent), le deuxième Barreau de Tokyo (Daini) propose des services de médiation agréés par le Ministre des Affaires étrangères. Il est ainsi habilité à offrir ses bons offices dans l’hypothèse où une des parties a obtenu une décision du Ministère en application de la Convention de la Haye de 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

On compte aussi maints autres domaines où la médiation a été instituée comme premier recours. C’est le cas en droit de la consommation, en droit de l’environnement à la suite de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima en 2011, en droit de la propriété intellectuelle (encore que dans ce dernier cas le succès de la médiation n’est pas si grand (deux en 2014).

Mais c’est encore dans le cadre judiciaire que la médiation s’épanouit le plus et bien que son recours soit le plus souvent facultatif, il s’impose à l’orée de la procédure pour nombres de litiges.

Les lignes qui suivent en donneront un bref aperçu.

Avant que toute action soit initiée devant une juridiction, toute partie peut engager une procédure de compromis kisozen no wakai devant le tribunal sommaire quels que soient les montants en jeu et la nature de la demande. Le juge va dans ce cas encourager les parties à trouver une solution amiable et lorsque les parties y parviennent, un accord entériné par lui aura les mêmes effets qu’un jugement. En pratique, cette procédure du compromis précédant l’action judiciaire est souvent utilisée par des parties qui ont déjà réglé leurs différends en dehors de toute procédure mais souhaitent donner force exécutoire aux termes de leur accord.

Dans le domaine des conflits civils et familiaux, la médiation judiciaire ou chôtei est un mode de règlement coutumier. Il est très proche du précédent à ceci près que les conciliateurs jouent un rôle plus prépondérant dans la recherche de la solution. Ainsi, en 2014, sur les 222.107 divorces enregistrés, 194.161 étaient des divorces par consentement mutuel et 21.855 ont été réglés par la procédure de médiation judiciaire4 (soit seulement 6.091 réglés par un jugement).

Dans un cas comme dans l’autre, si la tentative de médiation échoue, il ne reste plus d’autre choix que de porter l’affaire le tribunal qui lui aussi a la faculté, sinon même le devoir d’inciter les parties à se concilier. Cela ne va pas sans susciter la surprise des étrangers qui le plus souvent pensent avoir déjà épuisé les chances d’un accord amiable ou à l’inverse, convaincus de leur bon droit, tiennent absolument à ce qu’un jugement soit rendu.

Le juge ayant toute faculté pour l’initier, il serait cependant malvenu de s’y opposer, car c’est ce même juge qui jugera de l’affaire si une des parties s’est opposée à la conciliation, ce qui a pour effet d’exercer une forte pression sur les parties et leurs conseils. L’exemple suivant dans un domaine commercial et non plus civil illustre bien la place du juge dans la conciliation.

En l’espèce, il s’agissait d’un litige concernant une licence de savoir-faire, le concédant étant français et le licencié japonais. En raison d’un désaccord sur les redevances entre les parties, le contrat de licence ne fut pas renouvelé. Le licencié japonais n’en continua pas moins d’exploiter le savoir-faire objet de la licence pour des projets initiés avant la fin du contrat mais refusa de payer les redevances pour la réalisation de ces projets.

L’affaire fut portée devant le tribunal de district de Tokyo. En première instance, le tribunal tenta une conciliation aux termes de laquelle le licencié accepterait de payer 20% de la somme réclamée par la partie française, mais celle-ci, on le comprend, refusa. Le juge fut donc obligé de statuer et rejeta la demande de la partie française en totalité au motif que le contrat de licence ne prévoyait pas expressément une telle situation.

La partie française ayant interjeté appel, le juge d’appel tenta à son tour une conciliation tout en précisant d’emblée qu’à ses yeux les dispositions du contrat de licence devaient s’appliquer au savoir-faire utilisé dans le cadre de projets non achevés, même en cas d’expiration du contrat. Il donnait ainsi raison à la partie française en soulignant non sans fierté que le rôle des cours d’appel était bien de corriger les erreurs du premier degré de juridiction. Il indiqua toutefois qu’il est d’usage au Japon que les parties règlent leur conflit à l’amiable. La partie française ne devait donc pas s’attendre à récupérer la totalité des montants réclamés quand bien même elle aurait raison. Les parties acceptèrent alors de discuter les termes d’une transaction.

Dans un premier temps, la partie japonaise proposa de payer la même somme que celle avancée en première instance à savoir 20% du montant réclamé. Le juge suggéra au concédant français qu’il serait raisonnable de ne demander que 75% du montant réclamé, pourcentage qu’il se faisait fort de faire accepter au conseil du licencié (alors même ne l’oublions pas que celui-ci avait eu gain de cause en première instance). La partie française préféra cependant exiger la totalité du montant initialement réclamé plus les intérêts au motif que gagner un quart d’une réclamation valable serait un déni de justice.

Apparemment, le juge a eu moins de mal à convaincre la partie japonaise de multiplier leur offre de plus de trois fois que d’obtenir l’accord de la partie française pour réduire sa demande d’un quart. Le juge lui reprocha alors vivement de ne pas comprendre le fonctionnement du système judiciaire japonais et finalement, avec l’aide de ses conseils, parvint à la convaincre d’accepter 75% du montant réclamé. Pour emporter la conviction de la partie française, il n’hésita pas à faire valoir que les deux autres juges de la Cour d’appel estimaient eux aussi que 75% était le bon pourcentage car très sensiblement identique à celui que déciderait la Cour si elle devait statuer.

D’aucuns jugeront quelque peu directive la méthode du juge en l’espèce. Quoiqu’il en soit, la médiation eut pour la partie française le grand mérite que les sommes furent payées dans les quelques semaines qui suivirent la conclusion de l’accord amiable entériné par la Cour.

La médiation joue aussi un rôle modérateur dans les conflits de droit du travail depuis la création en 2006 d’une procédure de médiation sociale ou Roudou Shinpan (voir cette option dans le chapitre licenciement).

Remarques finales

En moyenne annuelle, sur trois procédures engagées au Japon, au moins une est un recours à la médiation, et dans le cas d’une procédure judiciaire au moins une sur trois se termine par une conciliation, si bien qu’en réalité moins de la moitié des procédures s’achèvent par un jugement.
Ces chiffres en disent long sur l’importance de ce mode de règlement des conflits au Japon et sur l’intérêt qu’il y a de s’en inspirer.