Le phénomène Karôshi au Japon
« Karôshi » signifie en japonais « mort au travail », ce qui en dit long sur comment sont perçues et vécues les conséquences des excès de la surcharge de travail au Japon ou de ce qu’il est commun d’appeler aujourd’hui le « burn-out ».
Certes le burn-out n’est pas inconnu en France, ni les suicides dont il est parfois la cause. S’il est, dans un pays comme dans l’autre, le résultat d’une charge de travail élevée et d’un stress chronique, combinés à un déséquilibre entre les efforts fournis et la reconnaissance obtenue, un faible soutien social et les pressions de la hiérarchie, il lui diffère par la prise en compte des spécificités de la société japonaise, notamment la durée de travail excessive qu’imposent à la fois une certaine conception du travail et la primauté du conformisme collectif, l’une et l’autre entretenues par la culture interne des entreprises de ce pays. Traditionnellement, la culture japonaise considère les longues heures de travail comme des qualités et une preuve de dévouement au travail. Ainsi par exemple, si en Europe un cas d’absentéisme sur deux est causé par le stress chronique[1], le burn out japonais est caractérisé par un présentéisme acharné. On ne peut pas être plus clair sur ce qui nous diffère !
[1] European Agency for Safety and Health at Work, “OSH in figures: stress at work – facts and figures”, 2009
Le phénomène n’est devenu un enjeu social majeur qu’à la fin des années 80, en raison de la multiplication dans l’actualité de cas de mort subite et de suicide de salariés, et grâce au travail d’alerte de l’opinion publique par les familles des victimes, associations, docteurs, avocats, et syndicats traitant de la question.
En dépit toutefois de leurs actions et de la mobilisation nationale qu’elles engendrèrent, les pratiques des entreprises n’ont changé de manière significative que tardivement. Le gouvernement, malgré quelques politiques de prévention et la rédaction d’une Guideline de bonnes pratiques, avait bien tenté de traiter le problème mais sans grande conviction, jusqu’à ce que le récent cas du suicide de Matsuri Takahashi défraie la chronique et donne au phénomène une ampleur particulière.
Le fait qu’elle fut une employée de la célèbre société Dentsu (cette société est en chiffre d’affaires la plus grande société de publicité du monde) y est pour beaucoup. Le 25 décembre 2015, cette jeune diplômée de 24 ans de la prestigieuse université de Tokyo, se suicide en sautant du toit de son dortoir après seulement neuf mois de travail. La surcharge de travail sera reconnue comme cause de son décès par l’administration le 30 septembre 2016. Selon la famille, le harassement de son supérieur y fut aussi pour beaucoup mais il ne fut pas pris en compte par l’administration, celle-ci préférant privilégier la cause plus objective du temps de travail.
L’indignation et la médiatisation de ce cas furent d’autant plus fortes que Dentsu avait déjà été condamnée en 2000 dans un cas similaire pour le suicide sur son lieu de travail d’un jeune employé de 24 ans et s’était engagée à l’époque à mettre fin à ses méthodes de travail illicites. Cette décision est d’autant plus fameuse qu’elle avait consacré la première reconnaissance judiciaire du Karôshi, c’est-à-dire l’admission d’un lien entre les excès de la surcharge de travail et la faute de l’entreprise. À la suite de cette condamnation, Dentsu avait reconnu sa responsabilité dans la mort de son employé, et fixa dans ses conventions collectives une limite des heures supplémentaires à 70 heures par mois.
[1] European Agency for Safety and Health at Work, “OSH in figures: stress at work – facts and figures”, 2009
Seulement les faits révélèrent qu’à la date du suicide de Matsuri Takahashi, cette limite n’était en réalité jamais respectée. Certains employés de l’agence témoignèrent qu’ils effectuaient parfois 150 heures supplémentaires par mois, qu’ils pouvaient rester plusieurs jours sans dormir en cas d’évènement important, et qu’au total personne ne respectait la consigne de quitter le travail à 22 heures[1].
[1] Philippe Mesmer, “Au Japon, cumuler 100 heures supplémentaires par mois n’est pas exceptionnel”, Le Monde Economie, 18 oct. 2016
Comment s’explique ce phénomène et sa persistance en dépit de l’évidente constatation de ses causes.
Le contexte historique
Lorsque le modèle Japonais est évoqué, il est fait référence au succès du management des entreprises japonaises dans les années de l’après-guerre, fondé sur l’importance attachée au collectif et au conformisme (au sens de se conformer à la norme du groupe sans déviation possible). Les grandes entreprises ont dès l’origine développé un fort esprit maison[1], un climat social familial basé sur la motivation personnelle du salarié au développement du groupe auquel il appartient, en contrepartie de quoi la société lui garantissait la sécurité de l’emploi dans un contexte à l’époque de surpopulation. Le salarié devait à la société un dévouement total. Avoir la capacité de passer de longues heures au travail était un des critères déterminant dans l’appréciation des compétences de l’employé et jouait un rôle primordial dans son avancement.
[1] Renaud De Maricourt, “Communication interne et culture d’entreprise au Japon”, Communication & Organisation, n° 5, “La communication interne : une approche croisée”, 1994
Les protestations contre ce mode de management étaient rares par crainte de la réaction des collègues, des supérieurs, de la famille (que regroupe globalement le mot Seken 世間), et plus encore d’être marginalisé. Cet ensemble de conditionnement annulait toute velléité de contestation. La place de l’opinion des autres sur son propre comportement est donc on le comprend un facteur culturel déterminant dans l’acceptation implicite par le travailleur de la surcharge de travail.
La loyauté du salarié et sa dévotion sont, en outre encouragées par à la fois l’attribution d’une prime à l’ancienneté et la rémunération des heures supplémentaires (majorée à 25% jusqu’à 22h00 et à 50% au-delà), d’autant plus nécessaire aux jeunes salariés dont le pouvoir d’achat aura peu progressé dans les premières années.
Ce consensus entre salariés et entreprises aurait permis le succès des firmes japonaises dans les années 50 à 80, dites du miracle économique japonais, avant le début de la double décennie perdue qui suivie l’éclatement de la bulle immobilière et financière fin décembre 1989.
A compter de cette dernière date, les grands groupes japonais amorcent un mouvement de restructuration interne dans la gestion des ressources humaines en vue de réduire leurs coûts.
La prime au résultat tend à prendre le pas progressivement sur la prime à l’ancienneté. Le licenciement économique, bien que non reconnu par le droit social, est désormais intégré dans la gestion du personnel et de manière plus significative encore le recours aux contrats précaires va s’imposer au détriment des contrats à durée indéterminée dont le nombre ne cessera de décliner (il passera en l’espace de 20 ans de 90% à 60% du nombre des employés)
[1] Philippe Mesmer, “Au Japon, cumuler 100 heures supplémentaires par mois n’est pas exceptionnel”, Le Monde Economie, 18 oct. 2016
[1] Renaud De Maricourt, “Communication interne et culture d’entreprise au Japon”, Communication & Organisation, n° 5, “La communication interne : une approche croisée”, 1994
La pression augmente sur les salariés, auxquels il n’en est pas moins demandé la même loyauté et le même engagement que dans les années 80, en dépit d’une moindre sécurité de l’emploi.
Le suicide de Matsuri Takahashi s’inscrit dans ce contexte. Son département était passé de quatorze à six employés pour des projets ayant la même intensité. Une pression managériale était exercée sur elle pour mener à terme ses tâches, sans pour autant rémunérer toutes les heures supplémentaires qu’elle accomplissait pour les remplir, et quand bien même elles l’auraient été, la limite du supportable était dépassée.
Deux phénomènes pervers se sont ainsi croisés, l’excès de recours aux heures supplémentaires et leur non-paiement (pour les heures supplémentaires dites de services), avec une sorte de bonne conscience collective puisque ces pratiques étaient courantes même chez les groupes de réputation mondiale. Le ministère du travail, luttant seul contre tous, avait beau dénoncer les sociétés coupables en les listant sous le label de « Black Companies »[1], (termes désignant les entreprises connues pour la fréquence des cas de harcèlement moral et d’abus des heures supplémentaires), rien n’y faisait, sauf dans les cas extrêmes où un suicide révélait au grand jour la persévérance de ces pratiques. C’est ainsi que la société Kansai Electric Power Company Inc., nominée au « Black Company of the Year Award » de 2017, avait admis ne pas avoir payé 12.900 employés en heures supplémentaires de 2015 à 2016, soit un total de 1,7 milliard de yen[2], suite à une enquête déclenchée après le suicide reconnu en Karôshi d’un de ses chefs de section en avril 2016. La société Dentsu l’avait été un an auparavant pour les raisons qu’on connait.
[1] http://blackcorpaward.blogspot.jp/
[2] Kyodo, “Kansai Electric employees owed ¥1.7 billion in overtime pay”, The Japan Times, 30 Mars 2017
Un des principaux motifs du retard des entreprises dans leur prise de conscience de leur responsabilité dans le Karôshi tenait au simple fait qu’elles ont longtemps refusé de reconnaitre le lien de cause à effet entre l’excès de travail et les décès de leurs employés.
Données actuelles : Temps de travail et heures supplémentaires
Traduit par “la mort par excès de travail”, le Karôshi au Japon semble frapper essentiellement les hommes cadres moyens et supérieurs entre 40 et 50 ans et les jeunes travailleurs entre 20 et 30 ans. Il est généralement mis en lien avec la pratique en excès des heures supplémentaires, payées ou non. Selon les statistiques de l’OCDE, les employés japonais ont travaillé une moyenne de 1.719 heures en 2015, mais ce chiffre ne prend pas en compte le contexte culturel et législatif du Japon.
Travailler de longues heures était, en effet, autorisé par les lois du travail de l’époque. Bien que le Labor Standards Act dispose une limite maximale de 40 heures par semaine sans compter les périodes de repos, son article 36 prévoir qu’avec l’accord écrit du syndicat ou du représentant de la majorité des travailleurs, l’employeur peut prolonger le temps de travail légal conformément l’accord ainsi conclu. Aucune limite légale maximale relative aux heures supplémentaires effectuées sous cet accord n’avait alors été adoptée. En pratique, ces accords sont de 60 à 100 heures par mois, voire plus de 120, selon la Karoshi Hotline. Et dans ce cas, le salarié doit les effectuer sous peine de licenciement[1].
[1] Hitachi Ltd.V.Tanaka, Tokyo High Court, Mar.27,1986
Pour rendre compte du phénomène et de la pratique des heures supplémentaires, le gouvernement du premier ministre, Shinzo Abe, avait validé le 7 octobre 2016 son premier rapport sur le Karôshi fondé sur un sondage réalisé auprès de 1.743 entreprises (sur les 10.000 interrogées) et de 19.583 travailleurs (sur les 20.000 interrogés) entre décembre 2015 et janvier 2016. Selon ce sondage, 22,7% des entreprises ont enregistrés plus de 80 heures supplémentaires par mois, et 12% ont admis que leurs travailleurs en effectuaient plus de 100. De même, 21,3% des employés interrogés travaillent en moyenne 49 heures ou plus chaque semaine. En janvier 2015, le syndicat Rengô a réalisé une enquête auprès de 1.693 employés, relevant que 51,9% d’entre eux effectuaient des heures supplémentaires non rémunérées, et que 8,3% des cadres ont déclaré effectuer plus de 60 heures supplémentaires non rémunérées par mois[1].
[1] Agnès Redon, “Japon : vers plus de temps libre pour les employés ?”, Asialyst.com
[1] https://blackcorpaward.blogspot.jp/
[1] Kyodo, “Kansai Electric employees owed ¥1.7 billion in overtime pay”, The Japan Times, 30 Mars 2017
[1] Hitachi Ltd.V.Tanaka, Tokyo High Court, Mar.27,1986
Selon le rapport du syndicat, les dépôts des demandes en compensation pour Karôshi ont atteint un record de 1.456, mais le Conseil National de Défense des Victimes du Karoshi a déclaré qu’au vu de la réticence du gouvernement à admettre les Karôshi, ce chiffre pourrait être dix fois plus élevé[1]. Sur ces demandes, l’Administration du travail a déclaré 93 suicides ou tentatives de suicide directement liés à la surcharge du travail. A l’inverse, les statistiques policières ont reporté 2.159 suicides en 2015 dans lesquels le travail était au moins en partie responsable.
[1] Justin McCurry, “Death from overwork: Japan’s karoshi culture blamed for young man’s heart failure”, The Guardian, 18 oct. 2016
Mais la vraie difficulté est que peu de travailleurs portent plainte ou demandent le paiement des heures supplémentaires dues devant les tribunaux.
Une faible acceptation du Karôshi
En cas de Karôshi, la famille des victimes peut agir sur deux plans : demander la reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle auprès de l’Administration du Travail, et déposer une plainte contre l’entreprise concernée.
L’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles est obligatoire pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Pour en bénéficier, les travailleurs victimes ou leur famille en cas de décès, doivent déposer une demande auprès du Bureau de l’inspection du travail et mettre en avant un lien de causalité adéquate avec le travail, c’est à dire tout accident qui serait une conséquence des risques découlant de l’assujettissement du salarié à son employeur[1]. Dans le cas d’un Karôshi, la famille doit prouver que la victime a largement dépassé la charge de travail normale, juste avant ou au moins le jour même de l’évènement.
[1] Pour rappel, Cour Suprême, 2ème chambre, 8 juillet 2016, Saibansho Jiho, 1655-8
Néanmoins, si les demandes approuvées par l’Administration du travail sont en augmentation, notamment en raison des réformes sur les critères d’acceptation et de la jurisprudence Dentsu de 2000, seulement environ un tiers est reconnu comme tel[1]. La quantité d’heures supplémentaires reste le critère principal à l’attribution de l’assurance : en plus des 100 heures supplémentaires requises dans le mois précédant l’événement ou une moyenne de 80 heures dans les six mois le précédant, le demandeur doit apporter la preuve que la victime a effectué une moyenne d’environ 120 heures sur une période d’un mois dans les deux mois continus précédant l’événement ; ou encore une moyenne d’environ 100 heures sur une période d’un mois pendant les trois mois continus précédant l’événement. A côté de ces prérequis, une nomenclature de causalités extérieures a été établie avec plusieurs niveaux de risque psychologique tels que les événements personnels et les problèmes financiers susceptible d’écarter la qualification de Karôshi.
[1] Paul Jobin et Yu-Hwei Tseng, “Le suicide comme karôshi ou l’overdose de travail – Les suicides liés au travail au Japon, à Taiwan et en Chine”, Martin Média, Travailler, 2014/1 n°31, p. 45-88, DOI : 10.3917/trav.031.0045
[1] Agnès Redon, “Japon : vers plus de temps libre pour les employés ?”, Asialyst.com
[1] Justin McCurry, “Death from overwork: Japan’s karoshi culture blamed for young man’s heart failure”, The Guardian, 18 oct. 2016
[1] Pour rappel, Cour Suprême, 2ème chambre, 8 juillet 2016, Saibansho Jiho, 1655-8
[1] Paul Jobin et Yu-Hwei Tseng, “Le suicide comme karôshi ou l’overdose de travail – Les suicides liés au travail au Japon, à Taiwan et en Chine”, Martin Média, Travailler, 2014/1 n°31, p. 45-88, DOI : 10.3917/trav.031.0045
Malgré un meilleur accès à l’assurance, la constante reste qu’en dépit de l’augmentation des cas de Karôshi, les demandes de reconnaissance sont pour la plupart rejetées et la majorité des entreprises nient les conséquences délétères de leur management.
Si en cas de Karôshi un arrangement financier discret est souvent proposé aux familles, c’est un moindre mal, mais lorsque les entreprises nient tout simplement leur responsabilité en estimant que le suicide relève de la responsabilité personnelle du salarié, de plus en plus d’entre elles le refusent et portent plainte contre l’entreprise pour obtenir réparation du dommage qu’elles ont subi.
Pour ce faire, les familles des victimes se fondent sur la loi sur la santé et la sécurité industrielle Health and Safety Act de 1972 et sur l’article 415 du Code Civil, qui sanctionne l’entreprise du défaut de ne pas s’être acquittée de son obligation de prendre soin de la santé de ses salariés.
Cette action a été rendue possible par la jurisprudence Dentsu du 24 mars 2000[1], où pour la première fois un tribunal japonais a confirmé l’existence d’un Karôshi et du lien entre la surcharge de travail, le suicide et une faute commise par l’entreprise, tout en excluant une éventuelle part de responsabilité des proches. Depuis, l’entreprise a l’obligation d’organiser le travail de telle manière qu’il n’en résulte pas de maladie mentale et physique découlant de l’accumulation de fatigue ou de contraintes excessives. De même, les employés occupant des postes responsables de la gestion des travailleurs ont le même devoir de diligence.
[1] Loïc Lerouge, “Risques psychosociaux et système japonais de prévention des risques au travail” 2013.
Néanmoins, lorsque les familles des victimes recherchent la condamnation pénale de l’entreprise, elles sont confrontées à la longueur des procédures, à leur coût et éprouvent des difficultés pour rassembler les preuves notamment sur le nombre des heures de travail que l’entreprise refuse de qualifier en tant que telles en invoquant que l’employé a fait volontairement le choix de travailler au-delà de ses forces. Dans ces cas, les juges sont parvenus dans une suite de jugements à requalifier les faits pour obliger l’Administration du travail à reconnaitre l’accident du travail ou la maladie professionnelle, en associant les facteurs de stress au nombre d’heures supplémentaires effectuées par les victimes.
C’est ainsi qu’Il est désormais possible de condamner judiciairement une entreprise pour sa négligence, en démontrant qu’elle a été informée de la surcharge de travail chronique de la victime, que l’aggravation de son état était connue de l’entreprise, et que malgré cette connaissance, elle ne s’est pas acquittée de ses responsabilités au regard de la charge de travail excessive de son salarié.
Vers un contrôle du débordement
L’action du gouvernement contre ces violations fut lente à se mettre en place. Elle était ralentie par les liens qui unissaient les politiques, syndicats et entreprises pour s’opposer à une véritable politique de réduction du temps de travail. Elle ne commence à prendre forme que depuis quelques années, en réponse aux nombreux cas de Karôshi commis par des employés des fameuses Black Companies dont il a été question plus haut.
[1] Loïc Lerouge, “Risques psychosociaux et système japonais de prévention des risques au travail” 2013.
Suite à la médiatisation de la reconnaissance en Karôshi du cas de Matsuri Takahashi, le gouvernement a révisé le Labor Standards Act pour stipuler à l’article 36 un plafond de 720 heures par an. Il est également prévu de renforcer les sanctions, notamment par des amendes et des peines de prison contre les employeurs laissant un seul employé dépasser cette limite[1]. En réponse, la Confédération syndicale (Rengô) et le patronat japonais (Keidanren) se sont accordés lors des négociations annuelles (Shuntô) de 2017[2] à maintenir une limite de 45 heure supplémentaires par mois ou 360 heures par an. Cette limite mensuelle pourra être dépassée 6 fois par an mais avec un plafond de 100 heures dans un mois, y compris dans les périodes de rush, ou 720 heures par an comme prévu par la loi.
[1] “Overtime caps give Japan Inc. chance to reform”, Nikkei Asian Review, 15 Mars 2017
[2] Kyoda, “Keidanren and Rengo agree to 100-hour overtime cap”, The Japan Times, 14 mars 2017
Le gouvernement souhaite également promouvoir un raccourcissement du temps de travail en invitant les entreprises à inciter leurs salariés à quitter leur bureau à 15 heures le dernier vendredi de chaque mois. Le gouvernement a également légiféré pour forcer les salariés à prendre au moins 5 des 20 jours de congés par an qui leurs sont dus[1].
[1] Quentin Périnel, “Tous les Japonais sommés de partir du bureau à 15 heures ce vendredi”, Le Figaro, 24 fév. 2017
Enfin, gouvernement et entreprises se sont consultés pour mettre en place un système de temps de repos[1], le « rest interval system », qui exige le respect d’une période de repos minimale entre 2 jours de travail pour un même employé. Le gouvernement prévoit de subventionner les entreprises qui imposeront le respect d’au moins 9 heures de repos.
[1] Kazuali Nagata, “Overworked Japan slowly adopting fixed rest hours to put an end to karoshi”, The Japan Times, 20 fév. 2017
Au niveau local, des initiatives ont été prises par certaines entreprises.
La société KDDI a introduit en 2015, un intervalle minimum 8 heures de repos pour tous ses employés, sauf les managers, et souhaite passer ce minimum à 11 heures. Afin d’optimiser son environnement de travail, la société Nidec a annoncé qu’elle dépenserait 100 milliards de yen pour atteindre un objectif de 0 heure supplémentaire d’ici 2020, grâce notamment à l’installation de supercalculateurs et de logiciels d’efficacité opérationnelle. Pour sa part, la startup en publicité Quartet Communications à Nagoya[1] propose des bonus en décembre aux employés réduisant leurs heures de travail en dessous de la moyenne de l’entreprise. Elle a aussi institué une sonnerie musicale à 18 heures indiquant la fin de la journée. Entre 2016 et 2017, elle a ainsi réduit la moyenne des heures supplémentaires par employé de 9,5 à 3,5 heures.
[1] Chunichi Shimbun, “Nagoya ad startup uses bonus boost to discourage overtime”, The Japan Times, 27 fév. 2017
L’entreprise de technologie Works Applications a été nommée meilleur lieu de travail en Asie par The Great Place to Work Institute[1] pour avoir offert à ses employés des horaires flexibles et un accès à une crèche interne. Son logiciel, adopté par plus de 1.200 entreprises au Japon, vise à accroître l’efficacité et à réduire les heures de travail par personne, en ayant recours à l’intelligence artificielle.
[1] Walter Sim, Chang May Choon, Pearl Lee, “Asia’s work culture: In search of a work-life balance”, The Straits Time, Asia News Network, 17 janv. 2017
Les sociétés Sumitomo Mitsui Banking Corp, Honda Motors et Ajinomoto ont pris des mesures pour favoriser le télétravail, Yahoo Japan a quant à elle déclaré vouloir lancer une semaine de travail de quatre jours d’ici 2020.
[1] “Overtime caps give Japan Inc. chance to reform”, Nikkei Asian Review, 15 Mars 2017
[1] Kyoda, “Keidanren and Rengo agree to 100-hour overtime cap”, The Japan Times, 14 mars 2017
[1] Quentin Périnel, “Tous les Japonais sommés de partir du bureau à 15 heures ce vendredi”, Le Figaro, 24 fév. 2017
[1] Kazuali Nagata, “Overworked Japan slowly adopting fixed rest hours to put an end to karoshi”, The Japan Times, 20 fév. 2017
[1] Chunichi Shimbun, “Nagoya ad startup uses bonus boost to discourage overtime”, The Japan Times, 27 fév. 2017
[1] Walter Sim, Chang May Choon, Pearl Lee, “Asia’s work culture: In search of a work-life balance”, The Straits Time, Asia News Network, 17 janv. 2017
Dentsu[1], plus modestement s’est engagée fin 2016 à réassigner la charge de travail et à embaucher du personnel additionnel pour distribuer les responsabilités de manière plus équitable.
[1] Kyodo, Dentsu to launch work reform panel over employee suicide; profits projected to drop, The Japan Times, 15 fév. 2017
De même, bien que la fixation du plafond des heures supplémentaires à 720 heures par an semble être une avancée, les responsables politique de l’opposition n’ont cependant pas manqué de rappeler que 100 heures supplémentaires par mois revenaient à travailler jusqu’à 23 heures chaque jour de la semaine, qu’ainsi une telle dérogation équivaudrait à « justifier un niveau de surmenage accroissant le risque de Karôshi[1] ». Le gouvernement n’avait-il pas fixé à l’origine la ligne à ne pas dépasser (la Karoshi line) de 80 heures supplémentaires par mois, seuil à partir duquel la vie du travailleur est en danger mortel.
[1] Philippe Mesmer, “Au Japon, un plan d’action contre la mort par surmenage”, Le Monde, 14 fév. 2017
Enfin, le Karôshi ne peut être seulement associé à la culture d’entreprise des excès d’heures supplémentaires. Il a aussi d’autres causes. De nombreuses entreprises, en effet, refusent d’admettre que la mort d’un de leur salarié aurait pu être causée par le harcèlement moral et/ou la pression managériale existant au sein de leur organisation du travail. Selon le juriste Hiroshi Kawahito qui a participé à l’information du public avec son livre Karôjisatsu en 1998, tous les facteurs spécifiques de l’organisation du travail sont à prendre en compte dans la prévention contre le Karôshi. Il y a certes le volume élevé des heures supplémentaires, mais aussi le travail de nuit, la prise en charge toujours plus grande d’une quantité de tâches et de responsabilités insurmontables, les objectifs commerciaux inatteignables et la culture managériale qui créée un climat de tension au sein du travail, notamment par le Power Harassment lorsqu’une entreprise est fortement confrontée à la concurrence.
Les initiatives proposées peuvent se révéler difficilement conciliables avec les particularités de certains secteurs, où le volume des heures supplémentaires est aléatoire selon les besoins de la clientèle. De même, à raison de la situation économique actuelle, de l’inflation et de la stagnation des salaires, la perte d’heures supplémentaires peut être vécue comme une perte de revenus. Enfin, comme cela a déjà été évoqué, elles peuvent se révéler difficilement conciliables avec les habitudes de travail de la vieille génération habituée aux longues heures, pour qui le temps passé conditionne la qualité du travail et démontre l’engagement envers l’entreprise, mantra qui détermine encore les chances pour un employé d’escalader les échelons de son entreprise.
L’environnement concurrentiel au sein même de l’entreprise ne favorise pas non plus la mise en place de ces mesures préventives. L’exemple des tentatives de la banque Mitsubishi UFJ Trust & Banking en est la triste démonstration. Seulement 34 des 7.000 employés se sont inscrits sur son programme les autorisant à rentrer jusqu’à 3 heures plus tôt pour prendre soin des enfants et des personnes âgées. Panasonic Holdings Corp n’a pas eu plus de succès dans sa tentative d’introduction de la semaine de quatre jours. Sur les 63 000 employés éligibles à ce régime dans les sociétés du groupe au Japon, seuls 150 employés ont choisi de l’adopter.
La mère de Matsuri Takahashi a déclaré qu’aucune réforme ne sera vraiment réussie si l’état d’esprit des gens dans le pays ne change pas[1]. Gageons qu’elle sera exhaussée mais sans doute plus par les effets de l’introduction des nouvelles technologies que par le changement des mentalités.
[1] Kyodo, Dentsu to launch work reform panel over employee suicide; profits projected to drop, The Japan Times, 15 fév. 2017
[1] Philippe Mesmer, “Au Japon, un plan d’action contre la mort par surmenage”, Le Monde, 14 fév. 2017