Comment ne pas inscrire le mot « femme » dans un abécédaire du Japon.
Takashi Moriyama n’y avait pas manqué dans le sien, avec certes une approche d’un autre temps mais dont il reste quelques échos aujourd’hui. « Il n’y a encore pas très longtemps, écrit-il, certains disaient que le bonheur suprême pour un mâle était d’habiter une maison américaine, d’avoir à cuisiner chinois et … d’épouser une femme japonaise. De nos jours, je me demande si cela est toujours vrai.
En effet, les femmes japonaises, qui étaient si douces il y a à peine quelques 20 ou 30 ans, se mêlent maintenant de tout. Il y en a de plus en plus, là où jusqu’à présent il n’y avait que des hommes. Cette invasion commence au concours d’entrée dans les universités : dans de nombreuses facultés, et non des moindres, elles raflent les meilleurs classements au concours d’admission, et la faculté ou telle section de la faculté se retrouve avec un effectif à 75 % féminin.
Cette cohorte de jeunes femmes entre 20 et 30 ans dispose d’un pouvoir d’achat considérable puisqu’elles sont payées au même taux que leurs collègues masculins. Ce sont elles que vous voyez habiller à la dernière mode italienne ou française, portant les inévitables sac Vuitton, Prada et d’autres grandes marques que l’on trouve dans les pages des magazines de mode.… Mais cette Dolce Vita cessent brusquement dès qu’elle se marie et deviennent des épouses au foyer. Bien souvent, en quelques années, la jeune femme élégante cesse de prendre soin d’elle. Elle ne sort plus, s’habille d’un survêtement ou de jeans…
L’Abécédaire du Japon (page 80 et s.)
Dix ans plus tard, Karine Poupée dans son livre « les Japonais » n’est pas beaucoup plus tendre avec les jeunes japonaises de notre temps : Elle les décrit ainsi : « La reine, celle que tous les commerçants nippons rêvent de séduire, c’est bien entendu la versatile jeune japonaise citadine, salariés, célibataire, la trentaine et sans enfant.
La jolie demoiselle, libre, magnifiquement maquillée, élégamment ou originalement vêtue, celle que l’on croise balançant nonchalamment son sac Vuitton les yeux rivés sur l’écran de son étincelant téléphone portable dernier carat dans les artères huppées de Ginza à Tokyo.… Single parasite, nourrie, logée, blanchie par ses parents, y compris passé 30 ans, ou bien résidant seule dans un petit studio au design minimaliste ou infantile, cette nymphette repousse le plus tard possible le mariage. »
Mais revenons cent cinquante ans en arrière pour écouter ce qu’en dit le Compte de Beauvoir avec beaucoup plus d’indulgence
>[i] Voyage autour du monde du Compte de Beauvoir (page 150)
« Pour moi, suivant ma coutume dès que je touche terre, je me mets évidemment à ma fenêtre, en admiration devant les costumes et les non-costumes de la foule active qui court dans la rue.… Les dames (commençons par elles) sont charmantes ; leurs cheveux d’ébène sont-ils également rattachés en trois étages par des épingles ornementées ; elles sont rieuses et pimpantes, gaies et rose, un peu peintes, je l’avoue, surtout quand il leur prend fantaisie de se pourprer ou de se dorer les lèvres.
Elles trottinent sur des petites planchette, emmitouflées dans une houppelande qui ferme quelques fois ; une épaisse ceinture d’étoffe verte écarlate, avec un gros nœud d’un pied carré placé dans le dos en forme de gibernes, leur donne un petit air mutin qui plaît fort. ».
Faut-il en rester à cette image plus flatteuse (et traditionnelle), celle que je retrouve si bien incarnée dans mes souvenirs par Reiko Ohara dans Ohan de Kon Ishikawa et plus tard par Kishi Keiko dans Yakusa de Sydney Polack.
Puis-je alors me joindre au concert de louanges ou de critiques ou même plus modestement me livrer à une analyse qui se voudrait distanciée. Je le fais avec réticence, comme obligé, car parler des femmes pour un homme a forcément quelque chose de condescendant, quel droit avons-nous d’en parler, comme si elles étaient des objets d’études ou d’observation, comme si elles constituaient une catégorie à part, et plus encore si on y ajoute le qualificatif de « japonaise ». Au-delà des quelques citations qui précèdent, qu’en dire de plus qui ne l’ait pas déjà été. Je ne me résous alors qu’à évoquer sans trop m’y étendre l’idée que j’en ai à travers mes lectures, mes expériences et celles de ceux qui se sont confiés à moi. Ce n’est qu’une part de vérité à prendre comme telle dans un océan d’autres possibles.
Ce qu’on leur reconnait généralement, c’est une forme de beauté innocente, ou qui se voudrait comme telle, distante et inaccessible mais dont la résistance serait paradoxalement fragile. Leur charme est discret, on y voit rarement une invitation et plus souvent une citadelle imprenable.
La tentation n’en est que plus forte, quand bien même les remparts s’effondrent non moins souvent plus vite qu’on ne l’aurait cru. Il n’empêche que la fierté d’avoir vaincu une telle supposée résistance exacerbe d’autant la passion. Je conviens que cette conceptualisation a quelque chose d’abstrait, mais il peut être tenu pour vrai que ces comportements sont plus accentués dans ce pays et qu’on ne les retrouve pas avec tant d’évidence en Chine ou en Corée, par exemple. Habitués à une confrontation plus brutale dans leur pays d’origine, il ne faut pas s’étonner de voir des étrangers tomber si souvent sous le charme teinté de mystère de la « femme japonaise ». Rien en cela n’est pourtant si mystérieux.
Cela relève ni plus ni moins du jeu de la séduction à son état le plus naturel. Ce jeu, qu’on appelle aussi celui de l’amour, n’aurait pas d’autres finalités que de répondre aux exigences biologiques de la survie (j’en dirai quelques mots plus loin). Ce passage direct de l’état sentimental et passionné, si nécessaire à l’acte un peu fou de l’amour, à celui de l’enfantement expliquerait tout à la fois la fascination des premiers pas et la déconvenue des seconds.
En France, la règle, à vrai dire de plus en plus dévoyée[i], est celle de l’amour pour la vie, comme si l’acte primaire conduisant à la seule procréation devait durer toute la vie. Au Japon, les choses sont plus proches du principe de réalité, et selon un schéma toujours répété l’homme occidental s’éprend à la folie devant tant de soumission au plaisir, souvent même d’expertise.
Il s’imagine que cet amour vise sa personne alors qu’il s’intéresse principalement au futur père ou au client dans d’autres situations. Bien sûr, rien de cela n’est conscient ni exprimé, ce n’est en rien un complot féminin mais simplement l’application d’une règle naturelle (ou anthropologique pour le dire autrement) que le monde occidental a oublié en créant le romantisme, phénomène assez nouveau à vrai dire dans l’histoire de l’humanité (si bien idéalisé dans cette citation célèbre de Simone de Beauvoir “Le couple heureux qui se reconnait dans l’amour défie l’univers et le temps, il se suffit, il réalise l’absolu”[ii].
[i] Ce qu’est devenu en France l’idée du couple « Un ensemble de deux personnes liées par une volonté de former une communauté matérielle et affective, potentiellement concrétisée par une relation sexuelle conforme à la loi » tiré de Essai sur la singularité matrimoniale Mariage et Conjugalité 2002, LGDJ, n° 404 par Benoît de Boysson.
[ii] Simone de Beauvoir « Le deuxième sexe »
Le couple heureux qui se reconnait dans l’amour défie l’univers et le temps, il se suffit, il réalise l’absolu” [i]. Bien sûr, le principe d’une règle est d’être régulièrement détourné, c’est ainsi que les femmes japonaises vivent fréquemment dans leur jeune âge un amour passionné et violent (qu’elle garde le plus souvent au fond d’elle-même), mais cet amour étant trop éloigné de la sécurité qu’exige la stabilité du foyer et l’éducation des enfants, elle y renonce pour un homme plus rassurant, traditionnellement sans même présupposer que l’amour soit à l’origine de la relation. L’étranger, quant à lui, se trouve trop souvent, sans avoir été prévenu, dans la situation d’assumer successivement les deux, la passion puis la sécurité, chacun des rôles ayant sa propre valeur sous réserve qu’elle soit reconnue.
Cette analyse, que vous trouverez peut-être radicale ou simpliste (ou même dépassée), ne croyez-pas qu’elle vient de nulle part.
Une chercheuse française, Lucy Vincent, docteur en neurosciences ne dit-elle pas dans son livre « Comment devient-on amoureux ? » sans aucune relation particulière avec le Japon [i] :
[i] « Comment devient-on amoureux ? » chez Odile Jacob 2004 (page 32 et 33)
« L’exploitation de la femme se mesure en termes de temps, d’énergie, de ressources et de suivi de carrière ; un investissement de base quasi nul pour l’homme contre un minimum de cinq mois pour la femme à chaque naissance. Ce fait biologique qui explique qu’on ne puisse pas parler indifféremment des hommes et des femmes dans la recherche d’un partenaire, car les enjeux ne sont pas les mêmes : les hommes ne perdent qu’un spermatozoïde s’ils font un mauvais choix et ils peuvent recommencer très vite les essais ; les femmes, elles, y laisse une part importante de leur vie et les ressources matérielles qu’il faut pour la fabrication d’un enfant.
On comprend mieux du coup que les femmes se montrent très sélectives envers les mâles, mais comment font-elles donc leur choix ? Il y a toute une partie de l’éducation des enfants qui dépasse la période de la grossesse et l’accouchement ; ils peuvent « se rattraper » en apportant la nourriture, en fournissant un abri, en veillant à la défense du territoire et de la famille, en s’occupant de l’éveil des enfants. Pour augmenter sa désirabilité et ses chances d’être sélectionné par une femme, et ainsi de placer son spermatozoïde, un homme doit donc mettre en avant ses capacités et sa volonté de contribuer aux richesses matérielles et intellectuelles de sa future famille »
Maintenant paré de l’onction scientifique, permettez-moi de pousser plus loin la démonstration. La femme japonaise est, on le comprend, d’abord séductrice puis mère. Une fois mère, l’enfant devient roi et le mari s’efface. Il devient le pourvoyeur de fond et donc de la sécurité. Il doit certes aider, et il le fait de plus en plus, mais il n’est plus le maître des lieux. Au mieux, il peut se réjouir d’être le grand organisateur du foyer. Mais dans tout cela, l’« amour » ne compte plus pour beaucoup puisqu’il a perdu sa cause primordiale. On lui pardonnera ses incartades auprès des femmes, trop jeunes ou trop vieilles pour être mère, qui vont l’espace de quelques heures, plus rarement de quelques nuits, lui redonner l’illusion de l’amour perdu.
Les femmes aussi, lorsque les enfants seront élevés, retrouvant parfois le goût de la passion s’encanaillent alors à leur tour dans des lieux spécialisés dont le Japon a le secret. Mais fondamentalement, le socle est solide comme en témoigne le faible taux de divorce comparé à l’occident, même s’il progresse parmi les couples âgés, lorsque le mari à la retraite revient dans une maison qui n’a jamais vraiment été la sienne. Alors, le mari occidental dans tout cela, lui chez lequel la longue tradition romantique a fait croire qu’il fallait à tout prix continuer à s’aimer comme au premier jour. La déconvenue est grande parfois insoutenable. L’attente est évidemment déçue chez ceux qui n’ont pas pris garde de s’instruire à l’avance de la pérennité des archétypes japonais.
Après le premier enfant, cela revient assez vite en écho :« Tu n’es plus la femme que j’ai aimée » ou inversement « Tu ne m’aimes plus –avec en filigrane– comme je voudrais être aimé », quand il arrive à l’exprimer car dans bien des cas, le non-dit s’est installé au point que l’expression des rancœurs ou même des sentiments est devenue impossible (ou un signe grave d’immaturité). Ici comme ailleurs, la société japonaise est sévère, parce que proche du réel, pour ceux qui ont été élevés dans un monde où le réel est si souvent magnifié par les idées.
[1] L’Abécédaire du Japon (page 80 et s.)
[1] Voyage autour du monde du Compte de Beauvoir (page 150)
[1] Ce qu’est devenu en France l’idée du couple « Un ensemble de deux personnes liées par une volonté de former une communauté matérielle et affective, potentiellement concrétisée par une relation sexuelle conforme à la loi » tiré de Essai sur la singularité matrimoniale Mariage et Conjugalité 2002, LGDJ, n° 404 par Benoît de Boysson.
[1] Simone de Beauvoir « Le deuxième sexe »
[1] « Comment devient-on amoureux ? » chez Odile Jacob 2004 (page 32 et 33)