REGARDS CROISES d’un français sur le Japon… Tokyo le 22 juin 2024
Ce sont des regards croisés à multiples entrées, celui d’un français sur le Japon et les Japonais, et parfois d’un français du Japon sur la France et les Français.
L’angle d’approche dépendra des sujets au gré de ce qu’ils susciteront et sans que s’impose une cohérence absolue. Le regard sera plus subjectif que scientifique en ce qu’il relèvera plus de l’intuition que de la recherche pure. Il se veut enfin libre des dogmes et des idées reçues, ou même encore des certitudes. En ce sens, il se donne le droit d’énoncer plusieurs vérités contradictoires laissant à chacun la liberté de prendre les partis qui lui conviennent. Les oppositions que révèlent souvent ces regards croisés seront jugées brutales par certains mais n’est-ce pas cette brutalité qui donne le sel à la confrontation de ces deux cultures, l’une et l’autre fortes et fières d’elles-mêmes.
Les sujets n’ayant pas nécessairement de lien entre eux, j’ai opté pour la formule de l’abécédaire. Bien que dans un genre différent, il fait écho à « l’Abécédaire du Japon » publié en 1997 par Takashi Moriyama, Ancien haut fonctionnaire de l’Unesco, qui a vécu plus de 20 ans en France et s’est livré au même exercice auquel je ne manquerai pas de faire référence lorsque nos regards se croiseront à plus d’un quart de siècle de distance. Chacun pourra donc se connecter sur les seuls sujets qui l’intéresse dont la nomenclature sera mise à jour sur le site au fur et à mesure des publications.
C’est aussi pour ce qui me concerne un regard croisé dans le temps car chaque chapitre n’a pas été produit aux mêmes dates si bien que s’y révèlent en perspective les constantes et les variations.
Certains chapitres sont notamment repris d’un livre publié en japonais en 1989 auquel j’ai participé avec quelques autres auteurs étrangers. Son titre était « Regard sans complaisance des étrangers sur le Japon »
Je reprends ci-après son préambule qui pourrait tout autant être le préambule de ces regards croisés sauf que mon jugement serait aujourd’hui sans doute moins condescendant et moins sévère sur l’image que nous renvoie le Japon.
PREAMBULE (1989)
Après plus de dix années passées au Japon, il devient quasiment impossible d’écrire à son sujet tant il semble que tout a déjà été dit en bien comme en mal. En outre, avec un peu d’expérience, on acquiert de plus en plus le sentiment qu’il est impossible d’intégrer dans une explication rationnelle et synthétique le discours sur le Japon.
Sitôt affirmée une vérité d’apparence inébranlable vient la contredire, comme par un automatisme incontrôlable, une vérité contraire qui annule avec la même conviction la première. Pour être sûr de ne rien laisser échapper, il semble qu’il faudrait pouvoir mettre tout ce qui peut être dit à l’intérieur d’un cercle, exigence à laquelle répond mal la forme linéaire et horizontale de l’explications rationnelle.
Le Japon, et ses habitants, seraient ainsi pour les autres incontournables, indéchiffrables donc à part et différents. Ce n’est certainement pas un hasard si c’est précisément de la sorte que le Japon et le Japonais souhaitent, consciemment ou non, être perçus de l’extérieur : un peuple différent des autres auquel, à cause de cela, les autres devraient accorder un traitement différent, ce qui explique pour une part que le Japon soit aujourd’hui aussi isolé que puissant, isolé parce qu’il l’aurait voulu, puissant parce qu’il aurait bénéficié de la part des autres d’un traitement différent pour ne pas dire privilégié.
Vu de l’extérieur, il aurait beaucoup reçu et peu donné, sentiment qui à tort ou à raison n’incite pas à la générosité vis-à-vis du Japon. Paradoxalement, la qualité et l’ingéniosité de ce que fabrique le Japon ne font aimer que les produits mais pas le Japon lui-même. C’est sans doute que quelque part dans l’âme occidentale, nous avons intimement besoin que derrière la matière se cache un message pour l’esprit.
Avant le Japon, l’Europe a été défiée et envahie par les Etats-Unis sans pourtant provoquer autant d’agressivité et de ressentiment. Sans doute était-ce que dans l’écran de la télévision made in USA il y avait aussi l’Amérique et sa culture, John Wayne et les grands espaces. Dans l’écran du dernier modèle Sony aux couleurs et à la netteté impeccables, où est le message venant du soleil levant.
La difficulté à rendre compte correctement du Japon et à mettre à jour une volonté positive dirigée vers l’extérieur est donc à mes yeux l’un des principaux obstacles à une meilleure acceptation du Japon par la communauté internationale. Mon souhait est donc à travers les quelques lignes qui vont suivre de contribuer à ouvrir une partie du voile, aussi modeste soit-il, qui masque aux yeux de mes amis japonais la réalité objective de leur environnement.
Mes commentaires et explications seront peut-être jugés sévères et trop critiques mais le sujet du livre exigeait précisément d’éviter toute complaisance. Sachez, en outre, que je ne m’exprime pas en ennemi du Japon mais comme un de ses citoyens d’adoption. « Qui aime bien châtie bien » dit un dicton français, mon souci est de dire ce que peut ressentir un habitant de ce pays, comme je le dirais de la France à mes amis français, en pensant peut-être naïvement que le progrès ne peut venir que si les uns et les autres affirment à haute voix leurs convictions.
Mon intention n’est pas non plus de rechercher à tout prix la vérité, j’ai déjà dit combien cela était difficile, mais plutôt de livrer à la discussion des réflexions et impressions, sachant bien que l’honneur qui m’est fait de pouvoir m’exprimer dans ce livre n’est pas mérité.